Le 12 septembre 2016, quinze jeunes arabes et musulmans ont été exécutés dans la ville syrienne d'Al Mayadin.
La ville se trouve à deux heures de la frontière irakienne.
Depuis juillet 2014, l'Etat Islamique (EI) a pu contrôler la municipalité en question d'une main de fer.
La plupart des victimes avaient moins de 20 ans. Une unité de l'organisation terroriste de l'EI les a arrêtés dans la rue, leur a coupé les mains et les pieds puis les a vêtus d'une tenue orange avant de les emmener à l'abattoir de la ville.
C'est là que trois bourreaux les ont traînés par terre, les pieds enchaînés, et les ont égorgés un par un. Le dernier otage était agenouillé et forcé à observer l'image de ses 14 compagnons se faire décapiter avant d'y passer à son tour.
L'intégralité de la scène a été filmée par des professionnels de l'audiovisuel, qui utilisaient des caméras numériques de haute qualité, des logiciels onéreux pour l'édition graphique.
La vidéo a été enregistrée début septembre 2016 et diffusée par l'EI le 12 septembre, soit le jour de" la fête du mouton", Aid al-Adha, une date très symbolique pour la tradition musulmane.
Pour les musulmans, le sacrifice du mouton est un signe de gratitude et de reconnaissance à Allah, pour avoir sauvé une vie humaine en sacrifiant l'animal à la place.
L'assassinat des 15 jeunes d'Al Mayadeen représente, en plus d'une irréparable tragédie humaine, un profond blasphème envers les principes de l'Islam et une offense directe à l'esprit de l'Aid.
L'intention de la vidéo ne serait donc ni de séduire une audience de musulmans en accord avec les principes de l'Islam, ni d'envoyer un message religieux.
En revanche, l'analyse de son iconographie culturelle conduit à une conclusion troublante. L'organisation terroriste dirigée par Abou Bakr al-Baghdadi était consciente, depuis la première minute du fait que la bataille pour l'opinion publique pour séduire les cœurs et les cerveaux était aussi importante que la victoire militaire sur le terrain.
Les terroristes ont recouru à l'exécution afin de produire une vidéo qui peut être imitable par des audiences potentielles.
Les scènes de décapitation des jeunes syriens ressemblaient à celles du célèbre film d'horreur pour adolescents: Hostel. Et pas que, la première minute de la vidéo montrait des images du film d'action Mission Impossible: Rogue Nation. Un film d'espions avec Tom Cruise.
De janvier 2014 à la mi-septembre 2016, l'organisation terroriste EI a enregistré, édité et réalisé 1308 vidéos de propagande, destinées à l'opinion publique, soit une moyenne de plus d'une vidéo de propagande par jour. Ces données, révèlent l'EI comme l'organisation terroriste qui a investi le plus de ressources dans la communication, plus que tous les groupes terroristes précédents.
Que dit l'EI ? Afin de comprendre la stratégie politique et sociale de l'EI, le premier élément d'analyse est de savoir quels sujets préfèrent les terroristes pour séduire leur audience.
L'analyse de 1308 vidéos montre que le groupe dirigé par Baghdadi fait toujours ressortir quatre thèmes principaux.
Le sujet le plus important, dans 33% des vidéos sont les interviews avec les jeunes du monde entier, dans des langues différentes, expliquant pourquoi ils ont choisi de rejoindre l'EI.
Le leader du groupe terroriste, Abu Bakr al-Baghdadi apparaît une seule fois.
Les données montrent que les terroristes veulent donner l'impression d'être spontanés et populaires, contrairement aux structures de force traditionnelles qui sont hiérarchiques et verticales.
Le second problème majeur est relatif à la création de l'impression que l'EI est une armée glorieuse et victorieuse.
27% des vidéos montrent des actes de guerre où les membres du groupe terroriste se battent contre les soldats de Syrie, Irak, Kurdistan, Libye ou Egypte.
La majorité de ces vidéos de guerre sont produites avec de nouvelles techniques de réalisation tel que les go-pro caméras, les drones et des programmes d'édition numérique qui créent chez le téléspectateur un sentiment de figuration dans un jeu vidéo.
Le troisième élément utilisé par l'EI est lié à la création d'un nouveau contrat social avec la population sunnite d'Irak et de Syrie.
24% des vidéos sont celles de groupes terroristes montrant les actions du gouvernement, réglant les problèmes internes de la population, et s'engageant socialement avec la population locale.
Au final, 15% des vidéos des terroristes diffusent des images de violence explicite.
Toutefois, l'aspect le plus intéressant de ce problème est le fait qu'au moins 50% de ces exécutions sont inspirées par des scènes de films d'actions célèbres et de jeux vidéo populaires parmi les jeunes téléspectateurs dans les pays occidentaux.
EI a crée une nouvelle manière efficace de socialiser la terreur, diffuser sa propagande et recruter de nouveaux membres.
Avec une augmentation de 80% des décès causés par les actes terroristes en 2015, les démocraties et les gouvernements dans le monde entier se battent pour trouver la solution ajustée.
Nous avons d'abord besoin d'analyser la directive de l'Etat Islamique d'un point de vue scientifique afin de comprendre les stratégies politiques, sociales et militaires du groupe à l'origine des menaces les plus lourdes à l'échelle mondiale.
Le leadership politique et la sagesse viennent ensuite pour mettre en place les campagnes avec des valeurs communes à promouvoir.
En ce sens, la dernière contribution du "Club de Madrid", le forum des anciens leaders démocratiques de 69 nations dont la mission est de promouvoir la démocratie, c'est l'initiative « Les leaders racontent une histoire différente », un projet soutenu par la Commission Européenne qui vise à contrecarrer les récits violents, et ainsi diffuser des messages positifs et combler le fossé entre les représentants du gouvernement et les acteurs de la société civile, les professionnels et les journalistes.
Cela permet ainsi de comprendre et définir scientifiquement la stratégie de l'EI et élaborer avec tact les messages adéquats et les réponses appropriées. Nous allons nous doter des ressources et de la base nécessaire pour combattre l'extrémisme violent, et ce sur tous les champs, notamment, de la bataille culturelle.
Signé par
Mehdi Jomaa, ancien chef du gouvernement tunisien et membre du "Club de Madrid"
Javier Lesaca, chercheur, "School of Media and Public Affairs, George Washington University"
Ce blog, publié à l'origine sur The Huffington Post américain, a été traduit de l'anglais.
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